presse >L'Homme Nouveau

Proust en clair

 

Proust en clair. L'homme nouveau

 

Il ne reste que peu de temps à nos lecteurs pour se rendre à la Huchette en attendant que ce spectacle puisse être repris par Jacques Mougenot en d’autres lieux. La pièce est l’une de ces petites perles théâtrales qui font la grâce de cet art vivant et Jacques Mougenot fait partie de ces trop rares comédiens capables tout à la fois d’instruire et de plaire. L’intérêt principal de ce spectacle est d’être une excellente introduction à la lecture de Proust. Jacques Mougenot nous fait entrer dans l’œuvre par les fibres de l’homme. Il nous fait toucher la sensibilité extrême de cet auteur de génie, l’anime sous nos yeux et nous donne une clé de lecture, sa capacité « à faire entrer l’éphémère dans la durée ». La question du temps qui passe, de sa trace dans l’existence, de la mémoire qui donne une consistance au sensible, de l’épaisseur des choses et enfin de compte de la vanité de toute chose sont une formidable leçon pour celui ou celle qui veut apprendre tant bien que mal à vivre. Proust est une plaie vive, mais Jacques Mougenot a cet art de faire du récit de cette sensibilité écorchée mais incroyablement rigoureuse dans sa précision d’observation un levier pour faire jaillir la lumière de l’œuvre. Allez l’entendre et ouvrez sans attendre l’œuvre de  Marcel Proust…

Pierre Durande

Proust en clair, Jacques Mougenot raconte et dit Proust, au Théâtre de la Huchette, 23 rue de la Huchette, 75005 , jusqu’au 25 Mai, du mardi au vendredi à 21h, samedi 16h30

Le Cas Martin Piche

Jacques Mougenot aime interroger le sens en le confrontant précisément à ce qui semble, à première vue, n’en avoir aucun et il se livre avec un plaisir évident qu’il sait faire partager à son public à un exercice de virtuosité sur le langage qui est fort habile.

L’enjeu de son Monsieur Piche est certes moins profond que la remarquable affaire Dussaert qu’il rejoue en alternance au Petit Montparnasse, mais il y a peut-être des points communs entre ces deux pièces sur le regard qu’il porte sur un certain Art contemporain, en particulier ici à propos du théâtre quant au métier du comédien. Car il semble bien que le jeu qui se déploie sous nos yeux dans ce cabinet médical ne soit que la parodie d’une parodie. Voilà un homme qui dans sa vie professionnelle est scénariste pour la télévision, qui a donc l’habitude d’écrire des histoires, qu’il juge sans le moindre intérêt parce qu’elles ne sont que des divertissements stupides pour les autres (qui bien sûr les trouvent passionnantes !) et qui donc s’ennuie profondément de la nihilité qu’il entretient avec lui-même dans son activité créatrice. Quand on est comédien, on aime se mettre au service d’un texte, mais quand les textes ne sont plus au rendez-vous, à quoi peut-on servir ? Sans aucun doute à rien… Il reste une habile solution qui consiste à se faire soi-même l’histoire de son histoire, non plus d’incarner un personnage, mais de s’incarner soi-même en personnage. Et ainsi de créer ces fameux « one man show » qui sont la plus odieuse caricature du théâtre lui-même. Mais cela fait rire et tant que les rieurs seront au rendez-vous, l’ennui de Monsieur Piche persistera. Un spectacle plein d’humour, de finesse et de sens, où l’on n’a pas le temps de s’ennuyer.

L'Homme Nouveau

Dans un pastiche de talent, les frères Mougenot s'attaquent à nos meilleurs écrivains et poètes. Un spectacle d'une grande qualité où leçon de morale et rire se côtoient avec art et brio.

François Mougenot mérite un hommage tout particulier au milieu du fatras très inégal de tant de productions théâtrales, là lorsque repérer le bel ouvrage n'est pas forcément plus aisé pour la critique que pour le grand public. Quand on se tient soigneusement à l'écart du susurrement médiatique, que l'on cherche à allier, selon la belle devise des classiques, ce qui instruit et ce qui plaît, même parfois de manière provocante, il n'est pas facile de se frayer un chemin vers ce qui rend meilleur ou tout au moins incite à penser et à chercher ce qui est bon. Le théâtre est une école de la vie et il est heureux d'y rencontrer de vrais auteurs et interprètes. Avec La Fourmi et la Cigale, François et Jacques Mougenot nous offrent un spectacle qui est avant tout une belle manière de rendre hommage à la langue française. Je pense même que c'est l'intention principale de cet ouvrage. Et c'est réussi ! Avec un don de pasticheur qui inscrit François Mougenot dans la lignée des grands de ce genre, nous écoutons, sur cette querelle fort singulière qui n'a pas fini de faire couler son encre, une quarantaine de pastiches de nos meilleurs écrivains et poètes. Un régal de style, où Molière côtoie Shakespeare, Racine, mais aussi Beaumarchais, Labiche, Feydeau, Rostand sans oublier les savoureuses confrontations avec les vers de Du Bellay, de Ronsard, de Baudelaire, d'Hugo... et quelques clins d'œil au cinéma contemporain. L'intérêt du pastiche est dans la variation du ton. La qualité de la diction entraîne là une virtuosité de l'acteur qui honore ainsi le très exigeant travail du comédien. Ce n'est pas sans raison que ce spectacle s'inscrit dans la tradition de l'une des meilleures écoles françaises actuelles de théâtre, celle de Jean-Laurent Cochet, où Jacques Mougenot enseigna pendant dix-huit ans. La fourmi et la cigale, quel drôle de couple ! Mais quelle leçon aussi d'économie et de bien vivre, si peu éloignée de ce réalisme pratique dont ses contemporains reprochaient à La Fontaine de manquer, lui, le rêveur. Pas si rêveur que cela, celui qui écrivait à Monseigneur le Dauphin, futur Louis XV, âgé de six ans, ces quelques lignes de la préface de ses Fables: « Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables: car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points ? (…) Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. » Sans en avoir l'air, en nous divertissant, Jacques et François Mougenot signent au Petit Hébertot une belle leçon de théâtre, en nous faisant partager ce texte si savoureux, à goûter sans modération.

Pierre Durrande
L’homme Nouveau, 6 janvier 2006

L'Homme Nouveau

Avec une rare intelligence, une courtoisie sans faille et un humour des plus fins, Jacques Mougenot nous fait entrer dans le sanctuaire de l'Art à partir de cet art du visible par excellence qu'est la peinture. Dans une intrigue quasi policière, il pousse jusqu'aux limites du paroxysme cette tendance de l'art contemporain à remplacer la splendeur de l'être par la vacuité du néant.

La pièce interroge le statut de l'apparence, mais elle montre le détournement profond du sens de l'Ecclésiaste opéré par cette idolâtrie du néant. Que reste-t-il quand tout passe ? Rien sans doute de ce qui passe, mais précisément ce qui ne passe pas. Telle est la sagesse de l'Ecriture sainte. A cette sagesse, une certaine philosophie contemporaine a voulu opposer l'absolu du rien comme s'il n'y avait jamais rien eu, comme si l'être même n'était pas. L'Affaire Dussaert nous en donne la preuve.

Pierre Durrande
19 mai 2012